Vente et erreur de désignation de lots de copropriété

Quand s’emmêler les pinceaux dans la désignation de lots de copropriété conduit à un imbroglio juridique !

Je vous raconte cette semaine l’histoire extraordinaire de Monsieur Madame K, qui achètent à Monsieur T en 1996 un appartement au troisième étage ainsi qu’une pièce au sixième étage.

L’appartement ne pose pas de difficulté, seule la pièce du sixième étage est en jeu.

L’acte de vente désigne cette pièce au sixième étage comme le lot n° 13.


Toutefois, Monsieur Madame K sont mis en possession des clés du lot n° 24.

Ils se servent de cette pièce comme d’un débarras, ce qui est effectivement son usage compte tenu de sa surface : 6,45 m².


En 2007, Monsieur T vend la pièce voisine à Monsieur B.

L’acte de vente désigne cette pièce comme le lot n° 24.

Monsieur B reçoit toutefois les clés du lot n° 13.

Monsieur B met le bien en location, il s’agit d’une pièce de 10 m².

Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu’à ce que Monsieur et Madame K s’aperçoivent d’un décalage entre le n° de lot effectivement occupé et la désignation dans l’acte de vente.

L’acte de vente les a en effet rendus acquéreurs non du débarras mais de la chambre de service de 10 m².

Ils assignent Monsieur B en transmission sous astreinte des clés du lot n° 13, en 2014.

Mais Monsieur B n’est pas d’accord, il a acheté une pièce aux fins de location et c’est ce qu’il a eu.

Une pièce de 6,45 m² n’est pas louable compte tenu des critères de logement décent imposé par la loi (décret du 30 janvier 2002 imposant une pièce principale d’un minimum de 9 mètres carrés).

La cour d’appel déboute les époux T. Elle retient que :

  • Monsieur B a acquis de bonne foi la chambre des services dont il a été mis en possession par le propriétaire apparent. Il a commis une erreur commune et invincible.
  • Les parties ont toujours eu l’intention pour l’une d’acheter le débarras et pour l’autre la chambre de service de sorte qu’il s’agit uniquement d’une erreur de désignation de lots.

Les époux T saisissent la Cour de cassation qui casse l’arrêt .

L’affaire est donc renvoyée devant une cour d’appel de renvoi qui refuse de nouveau la remise des clés et condamne les époux T à faire rectifier sous astreinte leur acte d’acquisition.

La cour retient qu’il convient de se référer à la commune intention des parties, les époux T ayant l’espèce souhaité acheter un débarras qu’ils ont occupé sans contestation pendant 18 ans et M. B ayant pour sa part acquis une pièce aux fins de mise en location.

Mécontent, Monsieur et Madame T forment un pourvoi en cassation.

Ils soutiennent que :

  • Les juges ont dénaturé des actes pourtant clairs : les actes notariés indiquent que la chambre de service n° 13 a été vendu aux époux T et que le débarras lot n° 24 a été vendu à Monsieur B,
  • Le vendeur ne pouvait leur vendre le débarras en 1996, dont il n’est devenu propriétaire par suite du décès de sa tante qu’en 2006,
  • Ils ont réglé depuis 25 ans les charges liées au lot désigné dans l’acte de vent.

À votre avis, ont-ils obtenu gain de cause ?

La réponse est non.

Dans cet arrêt du 8 juin 2023 (RG n°21-19.058), la Cour de cassation approuve la décision de la cour d’appel.

Elle juge qu’il convient de considérer la volonté réelle des parties sans s’attacher aux indications de l’acte de vente.

En l’occurrence, dans le cadre de la première vente les, les parties se sont entendues sur l’aliénation du débarras, dans le cadre de la seconde vente sur l’aliénation de la chambre de service.

Une précision : en 1996, quand les époux T ont acquis le débarras, le diagnostic loi Carrez n’était pas encore obligatoire. Et c’est bien dommage car ils auraient certainement tout de suite pu déceler l’erreur.

Reste que dans cette histoire, ils se sont acquittés pendant plus de 25 ans des charges communes supérieures à celles qui leur incombaient réellement (7/1000 au lieu de 3/1000).

Un autre contentieux en vue ?